Géopolitique
Pourquoi la Turquie va faire pivoter le monde en profondeur

Quand on me demande, quel pays va le plus impacter ce siècle, la plupart des gens s’attendent à ce que je réponds quelque chose comme : la Chine, la Russie, les USA ou autre grande puissance… mais en réalité, quasiment tout le monde oublie un pays, qui va pourtant avoir un énorme impact en étant un des réels pivots faisant basculer l’équilibre mondial : la Turquie.

Un peu comme aux USA pendant chaque élection, il y a des « Swing States », vous savez, ces États qui sont toujours sur la fine ligne entre les deux camps et peuvent faire basculer les résultats de l’élection d’un camp à l’autre.

La Turquie, c’est le même principe mais au niveau mondial.

Ce pays peut littéralement faire basculer l’équilibre géopolitique du monde, en passant d’un camp à l’autre.

Et nous sommes en train de vivre l’un de ces moments.

La Turquie, un pont entre Europe et Asie

Alors que pendant plusieurs décennies, la Turquie était constamment tournée vers l’Occident, souhaitant intégrer l’OTAN, puis l’UE, ces dernières années les choses ont changé et la Turquie s’est peu à peu rendu compte du déclin occidental mais également a très bien compris maintenant que l’avenir économique est en Asie.

Les élites turques ont donc progressivement manifestées un intérêt croissant pour l’adhésion aux BRICS.

Cet intérêt a été perçue grâce aux manœuvres géopolitiques et aux stratégies économiques d’Ankara, qui ont amené à sa déclaration officielle en 2024, de volonté de rejoindre les BRICS, annonce reçu comme un coup de tonnerre en Occident.

La Turquie de par sa nature qui est à cheval entre l’Europe et l’Asie, se positionne en carrefour du monde. Le pays essaye de parler à tout le monde et de ne jamais se mettre aucune puissance à dos, un jeu d’équilibriste qui lui vaut d’être souvent accusée d’opportunisme.

En effet la politique étrangère de la Turquie est marquée par des alliances fluctuantes et des recalibrages diplomatiques.

Mais dernièrement, l’administration du président Erdogan s’est souvent trouvée en désaccord avec ses alliés occidentaux traditionnels, en particulier les États-Unis.

La Turquie se détourne de plus en plus de l’Occident

Les relations turco-américaines sont actuellement marquées par des tensions. Le mécontentement du président Erdogan à l’égard des politiques américaines, s’est manifesté lors de sa récente visite à Washington, où il a fait part de son insatisfaction.

Les frictions découlent de plusieurs problèmes, notamment l’incapacité des États-Unis à mettre fin aux opérations israéliennes à Gaza et les retards dans l’exécution d’un contrat de 23 milliards de dollars portant sur des avions de chasse F-16, repoussant les dates de livraison à 2028.

Ces retards ont été attribués aux engagements existants de Lockheed Martin, ce que l’administration Erdogan considère comme un affront stratégique.

Au dela de cette « frustration », il y a également une grosse perte d’intêret en Turquie pour les élites occidentales, qui sont de plus en plus perçues comme ayant une parole de peu de valeur et ne tenant jamais leurs engagements.

Ces tensions ont conduit la Turquie à explorer d’autres alliances et à rechercher des relations internationales plus équilibrées et dignes de confiance.

Un attrait naturel vers les BRICS

C’est donc tout naturellement que la Turquie se tourne vers les BRICS qui ont un poids économique et politique de plus en plus important sur la scène mondiale.

L’intérêt de la Turquie à rejoindre les BRICS n’est pas seulement une question de changement d’alliances, mais s’inscrit profondément dans la nature de « carrefour » de la Turquie, qui aspire naturellement à un ordre mondial multipolaire, qui lui permettrait de s’épanouir pleinement et qui l’aiderait à sortir de cette profonde frustration qu’elle a développé avec l’Occident.

La Turquie s’inscrit donc parfaitement dans les BRICS qui eux, cherchent à diversifier leurs partenariats internationaux de manière multilatérales.

Source : Xinhua News Agency

Mais les ambitions de la Turquie vont bien au-delà des BRICS.

Erdogan a également exprimé le souhait d’être membre à part entière de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).

Ce désir a été exprimé non seulement au cours des années précédentes, mais plus récemment lors d’un sommet de l’OTAN, où les déclarations d’Erdogan étaient empreintes d’un ton d’urgence et de détermination.

La Turquie, la dernière pièce du puzzle BRICS

Sur le plan économique, la Turquie a tout à gagner d’un rapprochement avec les pays du BRICS.

L’économie du pays, bien que résistante, a été confrontée à des défis, notamment une inflation élevée et une monnaie volatile. L’intégration aux BRICS pourrait permettre à la Turquie d’accéder à de nouveaux marchés, à des opportunités d’investissements et à une coopération technologique.

En outre, les pays des BRICS ont montré leur volonté de se soutenir mutuellement par le biais de mécanismes financiers tels que la Nouvelle banque de développement, ce qui pourrait être bénéfique pour la stabilité et la croissance économique de la Turquie.

En outre, la situation stratégique de la Turquie en tant que pont entre l’Europe et l’Asie en fait un partenaire précieux et idéal pour les BRICS, en particulier dans le contexte de l’initiative chinoise La Nouvelle Route de la Soie.

Source : Insight Turkey

Cette initiative vise à renforcer la connectivité régionale et pourrait voir la Turquie jouer un rôle central dans la facilitation des routes commerciales et des projets d’infrastructures.

L’adhésion potentielle de la Turquie aux BRICS a également des implications politiques importantes. Elle symboliserait une rupture avec sa politique étrangère traditionnellement orientée vers l’Occident, reflétant une position plus indépendante et plus affirmée sur la scène mondiale.

Ce changement n’est pas entièrement nouveau ; la Turquie a déjà démontré sa volonté de mener une politique étrangère plus autonome, comme en témoignent ses opérations militaires en Syrie et son achat du système de défense antimissile russe S-400, qui a entraîné des sanctions de la part des États-Unis.

La Turquie, le miroir de la défaite occidentale

Ce que n’arrivent également pas à comprendre beaucoup d’analystes occidentaux, c’est que les frustrations de la Turquie à l’égard de l’OTAN et des États-Unis ne concernent pas seulement des griefs spécifiques, mais également un mécontentement plus large à l’égard des structures internationales dirigées par l’Occident.

La Turquie, qui a pourtant essayé de se faire entendre par l’Occident, s’est heurté, comme beaucoup, à une sorte de mépris voire pire parfois, de moqueries, les médias occidentaux s’amusant parfois des mécontentements d’Erdogan.

Source : The New Arab

En voulant rejoindre les BRICS, la Turquie exprime son désir d’une nouvelle forme de gouvernance mondiale où toutes les grandes économies anciennes ou émergentes, auront leur mot à dire et ne se feront pas refouler, comme avec l’Occident et surtout les USA, qui ont laissé un goût amer à la Turquie, comme à beaucoup d’autres pays d’ailleurs.

Lors de l’une de ses prises de paroles aux Nations Unies, Erdogan l’avait bien fait comprendre :

À Gaza, ce ne sont pas seulement les enfants qui meurent, mais également le système des Nations Unies. Les valeurs que l’Occident prétend défendre sont en train de mourir, la vérité est en train de mourir, et l’espoir pour l’humanité de vivre dans un monde plus juste est en train de mourir – une par une.

Président Erdogan

Un alignement de la Turquie et des BRICS qui devient évident

L’alignement des intérêts de la Turquie avec ceux des BRICS se dévoile maintenant comme évident.

La ligne des BRICS s’inscrit dans les objectifs plus larges de la Turquie en matière de diversification économique et de rééquilibrage géopolitique. D’autre part, il s’agit également d’une réponse aux défis et aux frustrations auxquels elle est confrontée au sein du bloc occidental.

Les démarches de la Turquie auprès des BRICS et de l’OCS peuvent être considérées comme faisant partie d’une stratégie plus large visant à se positionner en tant qu’acteur clé dans un monde multipolaire. Cette stratégie consiste notamment à tirer parti de sa position géographique unique, de son potentiel économique et de son influence politique pour se tailler un rôle plus important sur la scène mondiale.

En conclusion, l’approche de la Turquie à l’égard des BRICS est calculée et motivée à la fois par des aspirations sincères et des nécessités stratégiques.

Alors que la transition vers un monde multipolaire continue de s’accélerer, l’inclusion potentielle de la Turquie dans les BRICS pourrait avoir un impact énorme sur le paysage géopolitique, qui agirait comme un pivot crucial dans l’équilibre géopolitique mondial.

La Turquie sera donc l’un des « Swing States » du monde et le fera sûrement basculé dans sa mutation définitive vers un monde multipolaire.

Pour aller plus loin :

France 24 : Candidature de la Turquie aux Brics : une menace pour l’Otan ou un subtil jeu d’équilibriste ?

Think BRICS : Turkish Approach Towards BRICS: Is It Genuine?

Terra Bellum : Pourquoi la Turquie se détourne de l’Europe ?

 Retrouvez tous mes autres articles.

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